Description du phénomène

Les dégâts dus à l’abroutissement, aux écorcements et aux frottures comptent parmi les tares les plus graves qui peuvent affecter un peuplement, que ce soit en termes de potentiel de régénération ou de qualité des bois produits. Les dégâts de gibier sont souvent considérés comme des obstacles non-négligeables à la pratique et au développement d’une sylviculture de qualité, à la régénération naturelle et même artificielle des peuplements ; ils constituent également une dépréciation de la valeur technologique et financière des produits ligneux. La rentabilité financière des peuplements est atteinte : retards de croissance, déformations pour les jeunes plants, perte de volumes et de valeur commerciale pour les tiges adultes suite à une diminution du prix de vente, au déclassement des grumes ou aux purges des billons présentant des plaies importantes. Les dégâts pris en compte sont de trois types : les abroutissements (concernant les pousses terminales ou latérales des jeunes plants), les écorcements (détachements de lambeaux d’écorce dus aux morsures, localisés à hauteur d’homme) et les frottures (frottements des bois des cervidés sur les troncs surtout en résineux).

Au-delà des dégâts directs aux peuplements, le gibier a un impact défavorable sur le recours à la régénération naturelle comme méthode de régénération, sur les possibilités de diversification de la strate arborescente, mais également sur la diversité des strates arbustives et herbacées, et donc sur la biodiversité en général. Ces éléments sont cependant plus difficiles à mesurer.

Signification

Dans le contexte de l’équilibre forêt-gibier et des capacités d’accueil du milieu forestier, mieux connaître les zones soumises aux dégâts, la nature et la gravité de ceux-ci, pouvoir estimer les essences, les surfaces et les volumes concernés, suivre l’évolution au cours du temps sont utiles pour mieux appréhender la problématique de la présence du grand gibier dans nos massifs forestiers. Cette approche doit aussi permettre d’évaluer les mesures à prendre en matière cynégétique (contrôle des populations, plans de tir, …) ou réflexions à mener en matière sylvicole (importance et répartition des milieux ouverts, structure et composition des peuplements) afin de créer un biotope assurant un meilleur équilibre entre la forêt et le gibier. Grâce à la permanence de l’inventaire, cet état des lieux pourra servir d’observatoire de l’évolution des dégâts et de l’effet des mesures prises dans l’optique de la limitation de leur incidence sur les peuplements.

Situation en Région wallonne

Les peuplements ne sont pas tous atteints avec la même fréquence (Figure 3-38) : de façon générale, les résineux sont davantage dépréciés (30 % des peuplements en moyenne) alors que les feuillus sont nettement moins attaqués (7 %). Parmi les résineux, les pessières sont de loin les plantations les plus fréquemment atteintes : 35 % d’entre elles souffrent de dégâts à des degrés divers (un ha sur trois), devant les douglasaies (24 %) et les peuplements de résineux divers et en mélange (21 %). Les mélèzières et les pineraies sont nettement moins sensibles aux dégâts du grand gibier, avec respectivement 8 et 6 % des peuplements atteints. Du côté des feuillus, les hêtraies et les peuplements de feuillus divers et en mélange sont davantage atteints que les chênaies, tout en se situant sous le niveau de 10 %. Sans doute peut-on voir dans ces chiffres les effets d’une appétance variable d’une essence à l’autre (écorce, bourgeons, feuilles selon l’âge des arbres), mais également d’une capacité d’accueil du milieu différente : milieu fermé et pauvre en résineux sauf en mélèzières et pineraies (couvert plus léger et densité moins forte), présence d’un étage arbustif et/ou d’un tapis herbacé dans beaucoup de forêts feuillues. A signaler aussi que les pessières se situent pour la plupart dans les régions où se rencontrent les cervidés.

Figure 3-38 : Dégâts de gibier en forêt wallonne
Source : IFW, 1999.

Les dégâts sont donc particulièrement fréquents et intenses en pessières : 35 % des peuplements (couvrant 54.700 ha) souffrent de dégâts à des degrés divers. La fréquence est encore supérieure dans les futaies de plus de 20 ans (38 %). 65 % des pessières sont donc indemnes, 17 % comptent moins de 25 % d’arbres blessés, mais les peuplements où les dégâts sont généralisés (plus de trois arbres atteints sur quatre) représentent quand même 5 % des pessières. En moyenne, dans les peuplements atteints, 37 % des arbres portent des traces de dégâts ; pour l’ensemble des pessières (peuplements indemnes inclus), cette moyenne s’établit à 13 % c’est-à-dire qu’un épicéa sur huit présente un dégât dû au grand gibier.

Traduits en termes de volumes (Figure 3-39), ces chiffres conduisent à une estimation proche de 6.700.000 m3 d’épicéas dévalorisés, soit 15 % du matériel sur pied dans les pessières âgées de 20 ans et plus. Les proportions d’arbres blessés varient peu selon la circonférence, la catégorie des 70-119 est cependant la plus atteinte avec 3.700.000 m3 dépréciés (55 % du volume total des arbres blessés se trouvent dans cette classe de grosseur). Si les dégâts de gravité 1 et 2 déterminent le déclassement de 3 à 4 % du volume, les dégâts graves (type 3) concernent 7 % du volume dans les arbres de moins de 70 cm, 8 % dans la classe de 70 à 119 cm de circonférence et 6 % dans les bois de 120 cm et plus, malgré les coupes intervenues dans les peuplements.

Figure 3-39 : Volumes d’épicéas dévalorisés par les dégâts de gibiers.
Source : IFW, 1999

La répartition géographique des dégâts montre des fréquences de dégâts importantes dans les régions de Libin, Saint-Hubert, Baraque de Fraiture et dans les massifs de l’Est de la Région wallonne. A l’opposé, les dégâts semblent moins répandus en Ardenne centrale et méridionale.

Situation wallonne dans le contexte européen

La problématique de l’équilibre forêt-gibier n’est pas spécifique à la forêt wallonne, même s’il y constitue peut-être une source de conflits plus fréquents qu’ailleurs. L’acuité du problème est différente d’un pays voire d’une région à l’autre en fonction de la pression de la chasse, de l’étendue des massifs, des caractéristiques des peuplements en place (sylviculture intensive ou extensive, essences, sous-bois,…). Les données chiffrées manquent cependant pour établir des comparaisons au niveau européen, certains inventaires forestiers nationaux ne prenant pas encore en considération ce type d’information.

Conclusion

L Les résultats présentés plus haut montrent l’importance des dégâts causés en forêt wallonne par le grand gibier et en particulier par les cervidés. En feuillus, les peuplements atteints sont surtout les hêtraies, mais les dégâts les plus graves se situent au niveau des résineux et en particulier des pessières où un ha sur trois présente des dégâts et dans lesquelles en moyenne un épicéa sur huit est dévalorisé par une blessure plus ou moins grave. Toutefois, la fréquence et l’importance des dégâts sont très variables d’une région à l’autre et il existe des zones où les peuplements gravement atteints sont fréquents. Au total, presque sept millions de m3 sont dévalorisés par des dégâts d’écorcements ou de frottures.

 

Lien direct avec d’autres indicateurs

NatForP1 : Fonction économique de la forêt
NatForP4 : Pression exercée par la chasse
NatForE5 : Etat de la flore et de la faune
NatForI2 : Santé des forêts wallonnes

Caractérisation des données

Les mesures et observations sont effectuées par l’inventaire permanent des ressources forestières de Région wallonne, sur base de la grille de points distants entre eux de 1.000 m sur 500 m (soit un point par 50 ha). Les résultats, étant obtenus à partir d’un inventaire statistique, peuvent être accompagnés de l’erreur d’échantillonnage calculée. Les surfaces sont déterminées par comptage de points. Les volumes sont calculés individuellement en fonction des tables de cubage (circonférence à 1 m 50 et hauteur dominante ou totale), extrapolés à l’ha et présentés globalement ou groupés selon plusieurs critères (fréquence des dégâts, gravité,…) ou clés de répartition (nature du propriétaire, type de peuplement, cantonnement, …).

Les données sont récoltées à deux niveaux complémentaires : le peuplement (estimation de la fréquence des dégâts) et l’arbre (présence et gravité du dégât). L’observation au niveau du peuplement se réalise au sein de la zone d’observation de 30 ares autour du point central de l’unité d’échantillonnage. Elle consiste à estimer par comptage la proportion d’arbres atteints par les dégâts, de déterminer leur nature, leur gravité et leur ancienneté. Cinq niveaux d’importance de dégâts sont distingués : dégâts nuls (moins de 5 % d’arbres atteints), de 5 à 24 %, de 25 à 49 %, de 50 à 74 %, 75 % et plus. Cette information est complétée et précisée au niveau de l’unité d’échantillonnage par l’observation, sur chaque arbre de l’échantillon, de la présence et le cas échéant de la gravité du dégât (trois stades en fonction de la taille du dégât). Les données récoltées permettent de proposer des résultats en termes de surfaces, de fréquences et de volumes de bois dépréciés, globalement ou selon un éventail de critères. L’inventaire, par ses résultats, ne prétend pas porter un jugement sur l’équilibre forêt-gibier, mais son objectif est de préciser la nature et l’importance des dégâts encourus et cela selon une méthode d’investigation statistique. Grâce à l’ensemble des observations réalisées aux mêmes endroits (milieu, peuplement, dégâts), il peut mettre en relation ces trois composantes dans l’optique d’une analyse relationnelle. Par sa permanence, il est à même de suivre l’évolution des dégâts dans le temps et de mesurer l’effet des mesures de gestion prises dans ce contexte.

Aspects réglementaires

Le décret du 16 février 1995 instaure l’inventaire permanent des ressources forestières de Région wallonne (Moniteur belge du 7 avril 1995). L’arrêté d’application fixant les conditions de réalisation et les résultats attendus est daté du 20 novembre 1997 (Moniteur belge du 20 janvier 1998). Dans ce cas également, l’inventaire est un outil d’évaluation de la situation et de contrôle de l’application de mesures. D’autre part, dans sa circulaire no 2619 du 22/9/97 relative aux aménagements dans les bois soumis au régime forestier, la Division de la Nature et des Forêts prévoit un ensemble de mesures particulières en faveur de l’habitat des ongulés sauvages dans le but de rechercher l’équilibre «forêt-gibier».

Enfin, ces relevés sont effectués dans le cadre du critère 2 des résolutions d’Helsinki pour la gestion forestière durable en Europe. Signataire de ces accords, la Belgique s’est engagée à promouvoir l’application des principes de la gestion durable à ses forêts et notamment du critère 2 « maintien de la santé et de la vitalité des écosystèmes forestiers», plus particulièrement dans son concept qui est considéré ici «dommages sérieux causés par des agents biotiques et abiotiques».

Les objectifs poursuivis par ces mesures consistent à diminuer au maximum les dégâts causés par le grand gibier à la forêt en recherchant l’équilibre entre la capacité d’accueil des milieux et les populations animales.

Relation avec le PEDD

Action 103 : Lutter contre les menaces qui pèsent sur la forêt

Gestionnaire(s) des données

LECOMTE Hugues

Rédacteur(s)

LECOMTE Hugues