30 mars 2017 - Arrêté du Gouvernement wallon interdisant l'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant du glyphosate (M.B. 28.04.2017)

Le Gouvernement wallon,
Vu le décret du 10 juillet 2013 instaurant un cadre pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable et modifiant le Livre Ier du Code de l'Environnement, le Livre II du Code de l'Environnement, contenant le Code de l'Eau, la loi du 28 décembre 1967 relative aux cours d'eau non navigables et le décret du 12 juillet 2001 relatif à la formation professionnelle en agriculture, les articles 4/1 et 4/2, insérés par le décret du 20 octobre 2016;
Vu l'avis du Conseil wallon de l'environnement pour le développement durable, donné le 20 septembre 2016;
Vu l'avis du Conseil supérieur wallon de la conservation de la nature, donné le 20 septembre 2016;
Vu le rapport du 7 juillet 2016 établi conformément à l'article 3, 2°, du décret du 11 avril 2014 visant à la mise en oeuvre des résolutions de la Conférence des Nations unies sur les femmes à Pékin de septembre 1995 et intégrant la dimension du genre dans l'ensemble des politiques régionales;
Vu l'avis 60.775/4 du Conseil d'Etat, donné le 23 janvier 2017, en application de l'article 84,
§ 1er, alinéa 1er, 2°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973;
Considérant que, en vertu de l'article 4/1 du décret du 10 juillet 2013 précité, le Gouvernement peut réglementer et, au besoin, interdire, de manière temporaire ou pour une durée indéterminée, l'application de pesticides en tout lieu lorsque ces pesticides contiennent des substances actives qui représentent un risque pour la protection de l'environnement, pour la santé humaine ou pour la conservation de la nature;
Considérant que le glyphosate est une substance active herbicide non sélective, utilisée comme désherbant total foliaire systémique (appliqué sur les feuilles d'une plante, il pénètre l'entièreté du végétal et le détruit jusqu'à la racine); que la substance est approuvée dans l'Union européenne par le règlement d'exécution (UE) n° 540/2011 de la Commission du 25 mai 2011 portant application du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil;
Considérant que le glyphosate entre dans la composition de nombreux produits phytopharmaceutiques dans lesquels cette substance active est mélangée à des adjuvants (p. ex. surfactants permettant d'adhérer aux feuilles et pénétrer plus facilement la plante) qui rendent les produits plus efficaces;
Considérant que, en mars 2015, le Centre international de Recherche sur le Cancer (Organisation mondiale de la Santé; CIRC-OMS ou IARC-WHO en anglais) a classé le glyphosate comme substance cancérigène probable pour l'homme (groupe 2A); que l'évaluation portait sur le glyphosate, ainsi que sur les préparations à base de glyphosate, et s'alimentait des études et données publiées dans des revues scientifiques ou par des organismes publics;
Considérant que, dans une voie contraire, l'Autorité européenne pour la Sécurité alimentaire (EFSA) concluait en novembre 2015, dans le cadre de la procédure d'évaluation en vue du renouvellement potentiel de l'autorisation du glyphosate dans l'Union européenne, sur base des conclusions formulées plus tôt par le rapporteur allemand (BfR, Institut fédéral pour l'évaluation des risques), qu'il est « improbable que le glyphosate présente un danger cancérigène pour l'homme »; que les résultats présentés par l'Institut fédéral allemand, et relayés par l'EFSA après validation par les experts des Etats membres (à l'exception de la Suède qui s'est d'emblée opposée à ces conclusions), ont toutefois rapidement été contestés par la société civile et la communauté scientifique internationale, pour des raisons liées à l'indépendance de l'évaluation et, partant, sa validité scientifique;
Considérant qu'en date du 15 mars 2017, le comité d'évaluation des risques de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a jugé que les connaissances scientifiques disponibles ne permettaient pas de classer le glyphosate comme substance cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction (CMR) et a maintenu la classification du glyphosate comme substance toxique pour la vie aquatique et provoquant des lésions oculaires graves;
Considérant que la prise en compte des données fournies par les producteurs fait partie intégrante de la procédure standard européenne pour l'évaluation de chaque substance active (règlement (CE) n° 1107/2009, article 8) et n'est pas jugée incompatible avec la transparence de l'évaluation par les autorités européennes;
Considérant que les ONGs PAN Europe et Générations futures dénoncent toutefois le rejet quasi-systématique par les pays rapporteurs des données issues des études indépendantes (reproche formulé dans le cas présent par le Pr Portier); que la différence de méthodologies d'évaluation et l'origine des données considérées ont mené à d'importants échanges de courriers entre les directeurs du CIRC et de l'EFSA, cette dernière insistant sur le fait que les conclusions du CIRC ne consistaient qu'en une première évaluation qui « ne saurait être comparée aux évaluations du risque plus complètes menées par des autorités comme l'EFSA »; le CIRC rétorquant que « les résultats de cette évaluation des monographies sur le glyphosate par le CIRC sont définitifs et sans appel » en rappelant « la transparence, l'ouverture et l'indépendance scientifique » des travaux de l'institution onusienne qui fait figure d'autorité;
Considérant qu'il convient toutefois de préciser que les conclusions européennes, basées sur une évaluation de la substance isolée (jamais utilisée pure en situation réelle), précisent qu'il n'est pas exclu que le caractère cancérigène des préparations à base de glyphosate puisse résulter des adjuvants et coformulants, reportant donc la responsabilité de l'évaluation des effets des préparations à base de glyphosate sur les Etats Membres, chargés de l'évaluation des produits formulés et de la délivrance des autorisations de mise sur les marchés nationaux (en Belgique, le SPF Santé publique et environnement); que la conclusion est partagée par l'ANSES (Agence nationale - française - de sécurité sanitaire, alimentation, environnement, travail) qui avance un avis prudent sur l'absence de cancérogénicité du glyphosate, jugeant toutefois que son classement dans la catégorie des substances suspectées d'être cancérigènes « peut se discuter » (p. 6), en attirant également l'attention sur l'incertitude quant aux risques posés par les co-formulants;
Considérant que l'EFSA admet également un manque général de données scientifiques sur la génotoxicité, la toxicité à long terme et la cancérogénicité, la toxicité pour la reproduction et le développement et les propriétés de perturbateur endocrinien des amines grasses de suif;
Considérant que, outre les débats concernant les risques inhérents au glyphosate et aux produits en contenant, il convient de signaler que l'exposition de la population à ces substances apparait importante; que les résultats d'une étude récente de la Fondation Heinrich Böll, portant sur 2009 personnes, montrent que 99,6 % des Allemands présentent des traces de glyphosate dans les urines, 75 % d'entre eux présentant des taux jusqu'à 5 fois plus élevés que dans l'eau de distribution, un tiers des sujets présentant des taux supérieurs de 10 à 42 fois les taux maximums autorisés; que les sujets les plus exposés sont les enfants et adolescents;
Considérant qu'une déclaration de consensus a de nouveau été publiée le 17 février 2016 dans la revue scientifique Environmental Health, pour contester notamment la méthodologie de l'Institut allemand et soulever l'inquiétude sur l'omniprésence du glyphosate dans l'environnement mondial, et l'exposition croissante de la population à ces substances; que les 14 scientifiques à l'origine de cette analyse concluent :
- les herbicides à base de glyphosate sont les herbicides les plus utilisés dans le monde, et leur utilisation est en croissance continue;
- à l'échelle mondiale, ces herbicides contaminent les réserves d'eau potable, la pluie et l'air;
- la demi-vie du glyphosate dans l'eau et les sols est plus longue que ce qu'il était précédemment admis (de quelques jours à plus d'une année, en fonction des paramètres environnementaux, tels que le type de sol);
- l'exposition humaine au glyphosate est en croissance constante;
- les limites d'exposition par l'alimentation établies par l'Union européenne sont basées sur des données scientifiques datées (« outdated science ») et sont beaucoup trop élevées au regard des données toxicologiques récentes;
Considérant, en outre, que le recours aux herbicides, dont le glyphosate est le plus utilisé en termes de surface traitée par des usages amateurs en Belgique, contribue directement à la destruction et l'appauvrissement de la flore et de la diversité faunistique comme en attestent certaines études; que le glyphosate a également un impact important sur la biodiversité du fait de sa présence croissante dans les eaux (64 % des analyses du réseau d'eaux de surface réalisée en 2013 et 86 % pour son métabolite) et que ces résidus posent problème pour la potabilisation de l'eau comme le relève certain rapport; que la contamination des eaux menace la vie aquatique et des études ont montré que les herbicides contenant du glyphosate peuvent être toxiques pour les grenouilles et les crapauds; qu'il a aussi été démontré que des cellules de foie de carpe étaient endommagées lorsqu'on les exposait à des herbicides à base de glyphosate; que, au regard de la littérature scientifique, les espèces aquatiques sont ainsi parmi les plus impactées; qu'il s'agit notamment des amphibiens, des poissons, des moules d'eau douce et des micro-organismes aquatiques;
Considérant que le glyphosate peut avoir des conséquences néfastes sur la vie sauvage, peut réduire la biodiversité et peut détruire les réserves de nourriture pour les oiseaux et les insectes;
Considérant, de plus, que le glyphosate modifie la chimie des sols; que, dans certains sols, il se lie à des particules, ce qui le rend inerte, alors que dans d'autres types de sols, il reste actif et est dégradé par les microbes; que cela perturbe les processus chimiques dans l'environnement de la plante, notamment sa capacité à fixer l'azote, ce qui a pour conséquence de devoir augmenter les taux d'engrais à base de nitrates;
Considérant que ces utilisateurs professionnels doivent disposer d'une phytolicence qui leur garantit une connaissance d'une utilisation des produits phytopharmaceutiques minimisant les impacts négatifs sur l'environnement et la santé humaine; qu'ils connaissent de ce fait les risques présentés par cette substance active en lien avec cette pratique;
Considérant l'absence de produits de substitution en tant qu'herbicide systémique en agriculture et l'absence de circulation du public sur les terrains agricoles;
Considérant que, à la lumière de ces observations et de l'absence de consensus scientifique entourant les effets du glyphosate et pesticides à base de glyphosate sur la santé humaine, ainsi que son impact sur l'environnement et sur la nature, il convient de prendre en considération le principe de précaution;
Considérant que, à de nombreuses reprises, et en particulier dans son arrêt T-13/99, la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé ce principe de précaution et les devoirs qui en découlent; que, ainsi, s'il est « défendu d'adopter une approche purement hypothétique du risque et d'orienter [les] décisions à un niveau de « risque zéro », les institutions communautaires doivent toutefois tenir compte de leur obligation, en vertu de l'article 129, paragraphe 1, premier alinéa, du traité, d'assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine, qui, pour être compatible avec cette disposition, ne doit pas nécessairement être techniquement le plus élevé possible. (...) La détermination du niveau de risque jugé inacceptable dépend de l'appréciation portée par l'autorité publique compétente sur les circonstances particulières de chaque cas d'espèce. A cet égard, cette autorité peut tenir compte, notamment, de la gravité de l'impact d'une survenance de ce risque sur la santé humaine, y compris l'étendue des effets adverses possibles, de la persistance, de la réversibilité ou des effets tardifs possibles de ces dégâts ainsi que de la perception plus ou moins concrète du risque sur la base de l'état des connaissances scientifiques disponibles »;
Considérant que « En particulier, il convient d'observer que le principe de précaution permet aux institutions communautaires d'adopter, dans l'intérêt de la santé humaine, mais sur la base d'une connaissance scientifique encore lacunaire, des mesures de protection susceptibles de porter atteinte, même de façon profonde, à des positions juridiques protégées et donne, à cet égard, aux institutions une marge d'appréciation importante »;
Considérant que, pour les motifs qui précèdent, il convient de considérer le glyphosate comme une substance active qui représente, au sens de l'article 4/1 du décret du 10 juillet 2013, un risque pour la protection de l'environnement, pour la santé humaine ou pour la conservation de la nature;
Considérant qu'il convient d'interdire l'utilisation de tout produit à base de glyphosate ou contenant du glyphosate sur le territoire de la Région wallonne, et ce, compte tenu des risques qu'ils sont susceptibles de représenter pour la santé humaine, pour la protection de l'environnement ou pour la conservation de la nature;
Considérant que, le 28 juin 2016, l'exécutif européen a, sans majorité qualifiée au Conseil, décidé de prolonger de 18 mois l'autorisation de vente du glyphosate;
Considérant que le règlement d'exécution (UE) 2016/1313 de la Commission du 1er août 2016 modifiant le règlement d'exécution (UE) n°540/2011 en ce qui concerne les conditions d'approbation de la substance active « glyphosate » interdit tout autre utilisation que celui d'herbicide et interdit dès lors l'usage agricole comme dessiccant;
Considérant la résolution du Parlement wallon du 22 juin 2016 visant à définir une stratégie de suppression du glyphosate en Wallonie;
Sur la proposition du Ministre de l'Environnement;
Après délibération,
Arrête :

Article 1er. Pour l'application du présent arrêté, l'on entend par :

1° produits phytopharmaceutiques : les produits tels que définis par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil;

2° utilisateur professionnel : toute personne appliquant des produits phytopharmaceutiques au cours de son activité professionnelle;

3° utilisateur non professionnel : toute personne appliquant des produits phytopharmaceutiques et ne répondant pas à la définition visée au 2°;

4° distributeur : toute personne physique ou morale qui met des produits sur le marché, notamment les grossistes, les détaillants, les vendeurs et les fournisseurs;

5° décret du 10 juillet 2013 : le décret du 10 juillet 2013 instaurant un cadre pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable et modifiant le Livre Ier du Code de l'Environnement, le Livre II du Code de l'Environnement, contenant le Code de l'Eau, la loi du 28 décembre 1967 relative aux cours d'eau non navigables et le décret du 12 juillet 2001 relatif à la formation professionnelle en agriculture.

Art. 2. § 1er. L'utilisation de tout produit phytopharmaceutique à base de glyphosate ou contenant du glyphosate est interdite. Cette interdiction couvre l'ensemble du territoire de la Région wallonne.

Par dérogation à l'alinéa 1er, des produits phytopharmaceutiques à base de glyphosate ou contenant du glyphosate peuvent être appliqués par des utilisateurs professionnels titulaires d'une phytolicence P1, P2 ou P3 dans le cadre d'une activité agricole au sens du Code wallon de l'Agriculture.

Par dérogation à l'alinéa 1er, des produits phytopharmaceutiques à base de glyphosate ou contenant du glyphosate peuvent être appliqués par des utilisateurs professionnels titulaires d'une phytolicence P1, P2 ou P3 pour des raisons de conservation de la nature, de conservation du patrimoine végétal ou de sécurité des personnes, en ce compris pour la lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Pour la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, cette dérogation intervient en dernier recours pour le traitement limité et localisé par pulvérisateur à lance ou à dos ou par injection dans les plantes.

§ 2. Pour l'application des dérogations, le Ministre arrête le contenu, la forme et les modalités d'information aux utilisateurs professionnels visés par les dérogations des risques présentés par le glyphosate pour la protection de l'environnement, pour la santé humaine ou pour la conservation de la nature.

§ 3. L'interdiction visée au paragraphe 1er vaut pour une période de dix-huit mois à compter de l'entrée en vigueur du présent arrêté.

Art. 3. Jusqu'à l'échéance du délai visé à l'article 2, § 3, les distributeurs de produits phytopharmaceutiques établis en Région wallonne informent l'acheteur de produit phytopharmaceutique à base de glyphosate ou contenant du glyphosate de l'interdiction d'utilisation prévue à l'article 2. Ils l'informent notamment des risques présentés par le glyphosate pour la protection de l'environnement, pour la santé humaine et pour la conservation de la nature.

Le Ministre peut arrêter le contenu, la forme et les modalités d'information obligatoires aux acheteurs visés à l'alinéa 1er.

Pour assurer l'information prévue à l'alinéa 1er, les distributeurs de produits phytopharmaceutiques placent les produits concernés sous clés ou dans un étalage hors d'accès libre par les acheteurs.

Seul le personnel disposant d'une phytolicence de type NP ou P3 est habilité à délivrer l'information prévue à l'alinéa 1er.

Art. 4. Le présent arrêté entre en vigueur le 1er juin 2017, sauf pour les utilisateurs professionnels titulaires d'une phytolicence P1, P2 ou P3 qui peuvent utiliser jusqu'au 31 mai 2018 les produits phytopharmaceutiques à base de glyphosate ou contenant du glyphosate.

Art. 5. Le Ministre de l'Environnement est chargé de l'exécution du présent arrêté.